Vite, vite ! c’est urgent !…

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Vite, vite ! c’est urgent !…

L’urgence perpétuelle. un mensonge global.

Depuis plusieurs mois, mes clients me font part de leur inconfort (inquiétude ?) concernant un élément récurrent dans l’approche de leur activité professionnelle: tous les dossiers, pratiquement sans exception, sont devenus « urgents ».

À ce qui paraît, cette « urgence » s’est renforcée de façon substantielle après les périodes de lock down liées au Covid-19. Ayant vécu des arrêts forcés (et prolongés) durant cette période, c’est comme si la nécessité de rattraper le temps perdu avait contaminé toutes les activités.

Il va de soi que c’est impossible, d’un point de vue factuel, de rattraper le temps. C’est une illusion. Si hier vous n’avez rien fait de toute la journée, ça n’est pas en travaillant le double aujourd’hui que vous allez « rattraper le temps perdu ». Vous allez doubler votre charge de travail, votre état de fatigue et votre charge mentale, mais vous ne rattraperez rien. Chacune et chacun en fait l’expérience à l’occasion des vacances.

Cette approche du travail dans l’urgence n’est pas sans conséquences.

En premier lieu, elle augmente de façon considérable la charge mentale sur les collaborateurs de tous les niveaux.

Tous le monde sent une pression constante et se convainc « qu’il faut faire vite », sans quoi il est impossible d’accomplir n’importe quelle tâche, même les tâches ordinaires.

Or, l’urgence a un caractère justement extra-ordinaire.

Un incendie, c’est urgent. Le feu qui brule dans la cheminée ne représente pas une urgence. C’est toujours du feu, mais le contexte et les conséquences ne sont pas du tout les mêmes.

Je suis persuadé que personne n’appellerait les pompiers pour éteindre un feu de cheminée. Pourtant, dans le monde du travail, c’est ce qui se passe de plus en plus souvent.

Et du coup, les pompiers courent partout dans la ville, toute la journée, avec leurs sirènes hurlantes, pour éteindre les feux de cheminée allumés un peu partout. Alors oui, je veux bien admettre que temps en temps, il y a aussi un incendie à éteindre, mais c’est plutôt exceptionnel.

Considérer toutes les tâches comme urgentes, c’est transformer la vie quotidienne en une représentation abstraite qui augmente le stress sans une raison véritable.

« Il faut aller vite, c’est urgent ! »

Mais que se passerait-il réellement, si on n’allait pas aussi vite ?

Quelles seraient les conséquences concrètes si on remettait les choses à leur place en considérant les tâches quotidiennes comme ordinaires et non comme « urgentes » ?

Perdrait-on des part de marché ? des clients ? des opportunités ?

Si on considère la réalité du monde VUCA (Volatility, Uncertainty, Complexity, Ambiguity), le défi à relever, n’est pas tant celui d’aller vite, mais plutôt celui de s’inscrire dans la durabilité en développant une vision claire, basée sur la compréhension des environnements, qui permet de mettre en place des stratégies claires et agiles. Il s’agit de transformer VUCA en VUCA prime : Vision, Understanding, Clarity, Agility (Vision, Compréhension, Clarté, Agilité).

Éteindre un incendie, c’est une réaction urgente à une situation extraordinaire, mais pas la réalisation d’une stratégie durable. Cela représente une performance remarquable, mais ça ne peut pas se transformer en tâche ordinaire.

Le « vite, vite, c’est urgent ! » est souvent le résultat d’un manque de vision : ne pouvant pas percevoir le système dans sa globalité, on se focalise sur les réactions immédiates (et parfois irréfléchies) aux dépens de la mise en place de stratégies performantes.

La Vision est une instantanée du futur. Faire émerger une Vision, c’est être capable de faire un pas de recul et d’observer de façon systémique l’environnement dans lequel on évolue.

Cela exige un temps de respiration durant lequel on se reconnecte avec l’essentiel et on se projette dans le présent du futur.

Sans ce travail, sans cette perception global, tout peut paraître « urgent », alors qu’il ne s’agit, en réalité, que d’actions quotidiennes.

Ici, ça n’est pas tant la vitesse que la flexibilité qui est nécessaire.

Encore une considération : dans ma perception, la vitesse est mesurable uniquement par rapport au temps : si j’ai un délai clair et que j’accomplis ma mission avant le délai, j’ai fait « vite ». Dans le cas contraire, j’ai été « lent ».

Sans une définition claire et identifiable de ce périmètre temporel, c’est factuellement impossible de savoir si quelqu’un fait vite ou pas, puisque quelqu’un peut avoir besoin d’un temps de réflexion plus long pour parvenir à accomplir la mission avec réussite, alors que quelqu’un d’autre peut s’activer immédiatement pour parvenir au même résultat. C’est une question de profil personnel : vous pouvez être proactif ou réflexif. Et l’un n’est pas meilleur que l’autre.

Or, la définition d’un cadre temporel implique la capacité de se projeter dans le futur, d’avoir une vision du laps de temps nécessaire pour que la mission soit accomplie. Encore une fois, il est question de vision.

Il est question également de compréhension (Understanding) des facteurs et des compétences qui permettent d’accomplir la mission dans le temps prévu. Si on ne procède pas à une compréhension globale de la mission à accomplir, le délai imaginé peut être complètement incohérent et mettre une pression inutile sur les collaborateurs.

Comprendre l’écosystème est donc une étape fondamentale pour la performance durable.

Cette compréhension exige aussi un mouvement de recul, un moment de suspension dans le temps. Cela ne peut pas se faire « vite, vite ! »

Le troisième élément, la Clarté, est possible uniquement à la condition que les deux premiers aient déjà émergé. Difficile d’agir de façon claire si la perception de l’environnement est confuse ou bâclée à cause du fait qu’elle est le fruit d’une approche trop « rapide » et superficielle.

Quant à l’Agilité, elle est possible lorsque le terrain de jeu est connu et que l’équipement choisi est pertinent. Si vous avez fait une fois du jogging sur la neige sans les chaussures adéquates, vous savez de quoi je parle : chaque appui, chaque changement de direction, chaque arrêt devient une opération délicate, voire risquée.

Ces considérations rendent évident le fait que le passage de VUCA à VUCA prime exige un moment de respiration qui ne peut se faire qu’à la condition de suspendre le temps, de ralentir la cadence. En d’autres termes, tout le contraire du « vite, vite ! c’est urgent !… »

Le « vite, vite ! c’est urgent !… » finit par mettre au mois deux frein à la compétence durable :

1) Il augmente la charge mentale et le stress en diminuant considérablement la capacité d’agir de façon pertinente et donc de performer.

2) Il ne permet pas d’avoir suffisamment de recul pour choisir la stratégie la plus performante pour l’accomplissement de la mission.

L’approche du « vite, vite ! c’est urgent !… » présente encore un inconvénient majeur : elle dévalorise les collaborateurs (ils ne font jamais assez « vite »…) et les fait douter de leurs compétences en réduisant la confiance en eux.

Comment performer de façon durable lorsqu’on ne sait plus très bien quelles sont ses compétences et si on est encore dans la maîtrise de ses capacités ?


J’aime à croire que dans quelques temps cette tendance pernicieuse s’estompera d’elle-même. Toutefois, je recommande aux leaders, managers et responsables de tout niveau d’éviter soigneusement cette approche et de créer, au contraire, un environnement de travail sain tenant compte des caractéristiques de chacun.

Si vous vous entendez dire : « Vite, vite ! c’est urgent !… » ou quelque chose de semblable, prenez le temps de vous arrêter, de respirer et de jeter un regard global sur ce que vous êtes en train d’accomplir. Vous aurez déjà créé les conditions pour parvenir à une nouvelle Vision de votre écosystème de travail. La Compréhension, la Clarté et l’Agilité ne tarderont pas à se manifester.

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