Pas de lumière sans ombre
L’ombre est quelque chose d’inférieur, de primitif, d’inadapté et de malencontreux, mais non d’absolument mauvais. Il n’y a pas de lumière sans ombre et pas de totalité psychique sans imperfection. La vie nécessite pour son épanouissement non pas de la perfection, mais de la plénitude. Sans imperfection, il n’y a ni progression, ni ascension.
Carl Gustav Jung
Quelque chose d’inférieur, de primitif, d’inadapté et de malencontreux, mais non d’absolument mauvais. Jung nous donne une indication cruciale : » non d’absolument mauvais « …
Et pourtant, nous redoutons cette partie de nous et nous nous refusons à la visiter, à mieux la connaître, à la laisser nous informer, nous instruire de ce qui pourrait, une fois apprivoisé, nous rendre plus conscients et donc plus heureux.
J’utilise le « nous » parce que je me retrouve aussi dans cette posture.
Qu’est-ce qui nous fait si peur dans notre ombre ?
Lorsque je m’observe et lorsque j’écoute mes clients, je remarque la récurrence suivante : l’ombre nous oblige à nous regarder comme nous sommes vraiment, avec nos talents, nos dons, notre créativité et nos succès, mais aussi avec nos misères, nos vulnérabilités, nos questions apparemment sans réponse.
Elle nous oblige, en quelque sorte, à tenir compte de notre imperfection, de notre côté malaimé, de ce qui nous plaît le moins en nous et que nous voudrions oublier.
Parce qu’il va de soi que nous nous sentons bien plus confortables avec ce qui nous permet de briller, d’inspirer les autres, d’être reconnus et aimés.
Et c’est légitime, il n’y a aucune réserve à avoir, car comme Eric Berne nous l’a enseigné, le besoin de reconnaissance est transculturel, transgénérationnel et fondamental pour tous et partout.
Toutefois, il serait difficile d’imaginer que notre connaissance de nous-mêmes se limite à cela. L’ombre nous permet de nous connaître intégralement, de nous accepter tels que nous sommes et de nous développer dans la direction que nous souhaitons.
Ceux qui n’apprennent rien des faits désagréables de leurs vies, forcent la conscience cosmique à les reproduire autant de fois que nécessaire, pour apprendre ce qu’enseigne le drame de ce qui est arrivé. Ce que tu nies, te soumet. Ce que tu acceptes, te transforme.
Carl Gustav Jung
L’ombre est constituée de l’ensemble de nos refoulements. Nous pouvons y trouver ce que nous avons choisi de cacher pour mieux nous adapter et être donc accepté par les autres.
Souvent, nous avons satisfait les besoins liés à ces refoulements en choisissant de nous associer aux personnes qui possèdent les qualités qui nous manquent. Nous avons projeté notre ombre sur les autres.
Jean Monbourquette, excellent psychologue québecois, auteur du magnifique « Apprivoiser son ombre », en parlant de la projection de l’ombre affirme ceci : « Une personne aux prises avec une projection de son ombre verra sa perception du réel perturbée. Les traits ou qualités qu’elle aura refusé de voir en elle seront attribués à d’autres, comme si elle leur mettait des masques. Elle aura alors tendance soit à idéaliser les porteurs de ses projections, soit à les mépriser ou à en avoir peur. »
Nous pouvons déjà voir le nombre de problèmes créés par l’ignorance volontaire ou involontaire de son ombre : freins dans la connaissance de soi, perturbations dans les interactions avec les autres.
C’est pourquoi je me suis convaincu qu’il est fondamental d’entreprendre la traversée de son ombre.
Traverser son ombre, c’est se connaître, connaître ses « faiblesses » et aussi connaître tout son potentiel.
C’est un travail qui paraît très ingrat, surtout au début, car il n’est pas couronné de récompenses ou de flatteries. En revanche, c’est un travail qui permet de découvrir sa complétude. Et Jung affirme que « c’est mieux d’être complet que parfait. »
Ce n’est pas en regardant la lumière qu’on devient lumineux, mais en plongeant dans son obscurité. Mais ce travail est souvent désagréable, donc impopulaire.
Carl Gustav Jung
Dans le schéma de la constitution du psychisme selon Jung, nous sommes constitués de différentes couches disposées en rang d’oignons : la Persona (ou Moi idéal) où nous nous efforçons de faire apparaître le meilleur de nous (c’est aussi le lieu où nous alimentons notre collection de masques sociaux), le Moi conscient, l’Ombre (l’ensemble de ce que nous voulons cacher à nous-mêmes et aux autres), le couple Anima et Animus (les gardiens du Soi) et finalement le Soi ou Imago Dei.
L’ombre est donc un filtre entre notre Moi conscient et notre Soi, la Vérité qui nous habite tous. C’est uniquement en acceptant de la traverser que nous pouvons nous connaître pleinement. C’est en acceptant notre ombre que nous permettons à notre Moi conscient de se connecter avec le Soi profond.
La découverte de son ombre n’est pas l’affaire exclusive de la psychologie analytique ou de la psychothérapie, elle est au contraire à la portée de tous ceux qui ont envie de s’observer plus en profondeur, de comprendre ce qui les pousse à tenir certains comportements récurrents (et apparemment sans raison), de se connaître mieux, de s’accepter et, pour finir, de s’aimer en aimant son imperfection comme si c’était le plus grand don que nous avons reçu. C’est le « Connais-toi toi-même » de Socrate.
Je suis persuadé que nous pouvons nous aider les uns les autres dans cette aventure en apparence si compliquée. L’ombre est souvent liée à l’image que nous projetons autour de nous. Par conséquent, c’est aussi ce que nous renvoyons aux autres en termes de jugement.
C’est connu : ce qui nous donne l’allergie chez les autres, c’est ce qui nous renvoie à nous-mêmes, à notre propre ombre, à notre propre challenge. Nous devrions donc être reconnaissants à toutes ces personnes qui nous irritent, ou pire, qui nous font sortir de nos gonds, car ils nous donnent des indications assez précises de ce que nous avons décidé de refouler chez nous, dans notre « sac à déchets ».
Je dois avouer que je suis le premier à réagir ainsi : je suis irrité, ennuyé, dérangé par certains comportements « des autres ». Souvent, je me mets en colère « contre eux ».
En effet, plus je vais à la rencontre de mon ombre (avec des tout petits succès parfois, et avec beaucoup de frustration le plus souvent) et mieux j’arrive à regarder certains de mes comportements avec humour et auto-dérision. Et mon expérience m’a appris que lorsqu’il s’agit de l’ombre, mieux vaut développer de l’humour et de l’auto-dérision, car ils sont des puissants instruments de guérison.
C’est un travail qui exige du temps et de la patience. Dans mon cas, c’est un élément de difficulté supplémentaire, car mon ombre m’a appris que je veux toujours parvenir aux résultats trop vite et que cela m’amène parfois à emprunter des raccourcis qui ne m’aident pas. Sans compter que souvent je ne tiens pas compte du fait que les personnes qui m’entourent n’ont pas la même relation au temps que moi et qu’elles nécessitent de plus de temps.
Dans tous les cas, il me semble que l’essentiel, c’est de nous confronter avec notre ombre, de ne pas la nier, de ne pas la cacher, car elle sait comment faire pour ne pas se faire oublier. Elle nous envoie de nombreux signaux : douleurs physiques de toute sorte, insomnies, agitation, anxiété, et parfois même des angoisses. « Viens ! Occupe-toi de moi (c’est-à-dire de toi) ! » elle semble nous dire.
Je nous encourage donc tous à prendre contact avec notre ombre, à aller à sa rencontre, à l’écouter, à accepter ses enseignements. Nous ne serons pas plus « parfaits » pour autant, mais nous nous connaîtrons mieux et nous pourrons commencer à nous accepter avec indulgence et, qui sait ?, un jour peut-être à nous aimer tels que nous sommes.
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